La cigarette rend plus fort
Dans notre dernier éditorial, nous avons vu que les fumeurs payaient un lourd tribut à la folie : le tabagisme chronique intensif fait plus que doubler la survenue des démences, que celles-ci soient de type ALZHEIMER ou qu’elles soient de type vasculaire : la fumée de tabac attaque en effet directement le cerveau, elle accroît aussi la probabilité de sclérose en plaques et entraîne un risque de sclérose latérale amyotrophique.
Les lésions cérébrales créées par la cigarette sont nombreuses, au premier rang desquelles on retrouve les multi infarctus cérébraux.
La question qui se pose est de savoir si ces lésions cérébrales rendent heureux ou malheureux.
Une psychologue anglaise Jannelle JONES ((J.Jones et coll : The contribution of personal and social changes to well-being after acquired brain injury. Psychology and Health, 26(3),353-369,2011)) a eu l’idée d’interroger 630 personnes atteintes de lésions cérébrales. Elle les a questionnés sur leur identité : « Vous percevez-vous comme un survivant ? », sur l’importance de leur soutien social et sur leur impression de bien-être personnel.
Les lésions cérébrales dont ces personnes avaient été atteintes étaient des lésions graves et avaient touché la partie la plus noble de l’organisme : le cerveau. On est en droit de penser qu’un accident grave auquel on a survécu peut et doit changer la perception de la vie, quelles qu’en soient les séquelles ! De même, on est en droit de penser qu’au-delà de la perception de sa propre vie, les relations à autrui soient modifiées et pas toujours dans un sens positif ou agréable pour la victime.
L’enquête conduite par Jannelle JONES a mis en évidence toutes ces modifications. Mais le plus surprenant est que :
plus les lésions cérébrales sont importantes, plus les gens qui les ont subies sont heureux.
plus la pathologie à laquelle ils ont été confrontés a été grave et plus ils sont satisfaits de leur vie actuelle.
On ne parle pas bien-sûr de ceux qui ont subi des lésions cérébrales mortelles et qui ont donc trouvé « La PAIX ». Ceux-là ont bien-sûr été éliminés du fait de leur absence et de leur impossibilité à répondre. Par contre ceux qui ont survécu sont heureux et satisfaits.
Les chercheurs ont proposé plusieurs explications à cette relation entre bonheur et lésion cérébrale.
Certains pensent que la lésion elle-même modifierait les centres profonds de la perception du bonheur et du malheur et que ce qui a été apprécié comme un évènement fâcheux avant la lésion cérébrale est, après la lésion, considéré et vécu comme une situation agréable. La lésion cérébrale aurait alors modifié le code de prise de décision de celui qui, du tréfonds de notre cerveau juge le bon et le mauvais et décide je suis heureux ou malheureux.
D’autres pensent que la prise en charge et le soutien social dont ces « malheureuses » victimes ont fait l’objet, ont effacé le vécu douloureux des séquelles. Cette empathie nouvelle améliorerait alors le bien-être de celui dont le cerveau a été lésé. Les nouvelles conditions de vie donneraient alors à l’ « accidenté cérébral » un nouveau goût pour la vie.
Au-delà de ces considérations, Jannelle JONES pense, quant à elle, à la fameuse formule de Nietzsche « ce qui ne nous tue pas nous rend plus heureux ». De là à conclure que la cigarette rend heureux il y a un pas… un grand pas.